Des mathématiques à l’art, il n’y a qu’un pas, celui que Mahi Binebine a osé franchir pour devenir aujourd’hui l’une des figures majeures du paysage artistique marocain. Maniant avec virtuosité traits, formes et verbes, ce Marrakchi au rire contagieux jongle habilement entre peinture, sculpture et littérature pour nous livrer un art engagé. C’est dans son nouvel atelier que Mahi Binebine nous a reçu le temps d’un café et d’un entretien en toute intimité.
Atypique, un mot qui nous vient tout naturellement à l’esprit en retraçant le parcours de Mahi Binebine. “Je me suis installé à Paris dans les années 1980 pour y poursuivre des études en mathématiques. Diplôme en poche, j’ai exercé le métier de professeur pendant quelque temps, mais j’ai été très rapidement rattrapé par un rêve qui sommeillait en moi depuis toujours : me consacrer à l’art”, nous confie-t-il. Suivant cette envie ardente, Mahi Binebine rend aussitôt son tablier pour se consacrer à sa passion. Comme le dit si bien l’adage : vaut mieux tard que jamais ! C’est à l’âge de 25 ans que ce touche-à-tout s’adonne au dessin avant de s’envoler pour New- York, où il intégrera par la suite des collections prestigieuses, dont celle du Guggenheim Museum. L’ascension ne se fait pas attendre ; Mahi Binebine est propulsé sur le devant de la scène artistique nationale et internationale et ses romans traduits en une dizaine de langues feront le tour du monde. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la rupture avec son ancien métier de professeur est loin d’être définitive : “L’art est une forme d’expression rationnelle, à l’instar des mathématiques. La rigueur est un élément intrinsèque dans mon travail, car l’écrivain est instinctivement logique en gérant ses personnages qu’il mènera vers une finalité. Son esprit est structuré de façon innée”.
Marrakech l’inspiratrice
Après avoir sillonné plusieurs pays, Mahi Binebine a renoué avec sa ville natale, où il s’est installé depuis 2002. “J’ai fait le bon choix en reposant mes valises dans la ville qui m’a vu naître. Marrakech m’offre un panel de matières premières, dont la cire d’abeille, mais surtout des pigments sublimes tel que le bleu outremer, communément appelé bleu Majorelle”. Après quatorze ans de cohabitation artistique avec son acolyte Mohamed Mourabiti au sein de la résidence Al Maqam à Tahannaout, Mahi Binebine s’est installé, pour des raisons pratiques, dans son nouvel atelier non loin de Bab Atlas. “Les idées fusent constamment dans ma tête. Le travail est mon carburant, quand je ne travaille pas, je m’ennuie (rires) ! Si vous êtes animé par une passion, le travail est perçu comme un plaisir et non pas une corvée. Quand on aime, on ne compte pas !”
Un art à la fois dénonciateur et fédérateur
La condition humaine est dominante dans le travail de Mahi Binebine : “Quand on est un écrivain du Sud, on n’a pas trop le temps de regarder son nombril. Bien au contraire, on se lance intuitivement dans une mission donquichottesque, avec une volonté de redresser les torts. L’envie de remédier aux phénomènes sociaux est omniprésente dans mes oeuvres. J’ai traité l’esclavage, l’immigration clandestine, le terrorisme, la drogue… Mes romans ne relèvent pas de la littérature militante, mais j’essaye, à mon échelle, de faire bouger les choses et tirer la sonnette d’alarme”. Mahi Binebine ne s’est pas arrêté aux mots pour dénoncer les maux. En effet, ses sculptures monumentales traduisent avec brio la souffrance du genre humain, aussi bien par l’approche sensible que visuelle. Corps recroquevillés et contraints, brisés, associés à des couleurs qui ne manquent pas de rappeler l’oppression de l’Homme. Un engagement qui ne tardera pas à porter ses fruits, notamment après la publication du roman “Les Étoiles de Sidi Moumen”, qui a inspiré le film “Les chevaux de Dieu” du réalisateur Nabil Ayouch. Deux oeuvres fortement saluées qui donneront naissance par la suite à cinq centres culturels dédiés à la jeunesse des quartiers défavorisés. “Marrakech aura également droit à son centre baptisé ‘Les étoiles de Jemaa el Fna’. Mis à notre disposition par le ministère de la Jeunesse et des Sports, ce riad de 1024 m2 accueillera, au printemps 2020, un espace multi-facettes offrant aux jeunes de la médina de nombreuses activités et formations : ateliers de danse, salle de cinéma, cours de langues et d’informatique…”, nous confie Mahi Binebine.