Fondatrice de la foire d’art contemporain africain 1-54, Touria El Glaoui se confie à la Tribune de Marrakech, à quelques jours du lancement imminent de la troisième édition de cette grand-messe artistique. L’occasion d’aborder l’évolution de l’événement ainsi que les projets à venir.
La Tribune de Marrakech : Quelle est votre définition de 1-54 ?
Touria El Glaoui : 1-54 Contemporary African Art Fair est une foire d’art contemporain dédiée à la création artistique issue du continent africain et de la diaspora. Il s’agit donc d’une plateforme commerciale, qui vise à mettre en relation des galeries internationales sélectionnées par notre comité de sélection, et des collectionneurs ou amateurs d’art. Chaque galerie, 20 en tout cette année, a un stand à 1-54, qui se tient à La Mamounia, et présente un certain nombre d’artistes africains et de la diaspora. Mais 1-54 a aussi une vocation non commerciale, et organise par exemple en parallèle de chaque édition un programme de conférences et de débats, gratuit et ouvert à tous, proposant une réflexion très large et dense sur des thématiques liées à la création artistique contemporaine, notamment en Afrique. Pour cette édition de 1-54 Marrakech, la commissaire d’exposition Elvira Dyangani Ose a mis en place un formidable programme de conférences, intitulé «On Focus : Communal Knowledge At Large». Le programme est sur notre site Internet, et toutes les conférences sont gratuites ! 1-54 collabore enfin avec des institutions non commerciales locales, comme des centres d’art, des fondations culturelles, des espaces de résidences d’artistes, des musées, afin de connecter et tisser des liens et de renforcer le dialogue entre toutes ces plateformes. 1-54 a ainsi très largement contribué à la reconnaissance internationale de l’art contemporain africain, car la foire a d’abord été créée à Londres en 2013, puis nous l’avons développée à New York depuis 2015 et enfin lancée à Marrakech en 2018. Ce mois de février marque la troisième année d’existence de 1-54 Marrakech.
TDM : Pour quelles raisons était-il important pour vous d’initier la foire 1-54 sur le continent africain ?
TEG : J’ai toujours su que la destinée de 1-54 était notamment d’avoir une présence sur le continent. En 2013, lorsque j’ai créé la foire à Londres, il était à l’époque important que ces scènes artistiques venues des 54 pays africains soient exposées en Europe, où elles étaient si peu et mal connues. Cela m’a semblé être la priorité et la meilleure chose à faire à l’époque, et je continue d’ailleurs de le penser. C’était un peu avant-gardiste, car alors très peu de musées internationaux s’intéressaient aux artistes d’Afrique, et les collectionneurs qui suivaient cette scène se comptaient sur les doigts de peu de mains. Mais le lancement de 1-54 à Londres a été un beau succès, arrivé au bon moment donc. Puis nos galeries et les artistes avec lesquels nous travaillons nous ont poussés à ouvrir une édition à New York, ville si cosmopolite, où la présence de 1-54 nous a permis de tisser des relations avec une scène artistique africano-américaine et une diaspora africaine très importante dans la ville, et de se poser de nombreuses questions sur les relations culturelles entre États-Unis et Afrique. Après toutes ces aventures, il semblait évident et logique que le prochain développement devait nous permettre de créer un ancrage sur le continent, plus près de ces scènes artistiques que nous défendons. C’était en 2018, et c’est comme ça que 1-54 Marrakech est née.
TDM : Pourquoi le choix de la ville de Marrakech plus précisément ?
TEG : Marrakech s’est imposée assez rapidement dans cette réflexion. Tout d’abord bien sûr car je suis moi-même marocaine, et que je connais très bien ce pays où j’ai grandi, mais aussi la ville de Marrakech, bien que je n’y aie jamais vécu, car j’y ai passé de très nombreux moments et j’y ai de précieux amis. Marrakech est une ville fabuleuse pour la culture, elle rassemble plusieurs musées aux programmations extrêmement solides et enthousiasmantes (citons notamment bien sûr le musée YVES SAINT LAURENT Marrakech et le MACAAL), de très belles galeries et centres d’art, et elle a la chance d’être très cosmopolite et d’attirer les voyageurs internationaux. Il était évident pour nous que nous ne pouvions pas lancer 1-54 sans essayer de nous adresser aux acheteurs d’art marocains, certes, mais aussi internationaux, et pour cela cette ville est formidable, car tout le monde adore venir y passer quelques jours !
TDM : Quel est votre bilan à l’aube de cette troisième édition ?
TEG : Le bilan est très positif. Nos galeries internationales apprécient beaucoup cette foire, pour sa taille car elle est petite (20 exposants seulement), de très grande qualité et attire des acheteurs sérieux en grand nombre. Sur un plan plus large, les institutions culturelles de la ville nous ont ouvert grands les bras à notre arrivée, et il est fabuleux de réussir à travailler avec chacun, tout en voyant que de nombreuses structures sont attentives à ce que nous essayons de faire, et mettent en place un programme lié au continent africain pendant 1-54. Cela crée des discussions passionnantes et une dynamique assez géniale pendant ces quelques jours de février chaque année. Notre seul souci – lié au fait d’opérer au Maroc, pas à Marrakech spécifiquement – reste les problèmes d’importation des oeuvres d’art, procédures lourdes administrativement et coûteuses pour nos galeries, qui se retrouvent parfois dans des situations complexes où elles ne peuvent pas importer les oeuvres qu’elles auraient aimé exposer à 1-54 Marrakech, à cause de coûts d’importation exorbitants. J’espère que progressivement, les autorités marocaines apprendront à connaître notre activité de foire d’art, et que les procédures pourront être plus fluides et moins coûteuses pour nos galeries. Cela ne ferait que renforcer le marché local par ailleurs.
TDM : Quelles sont les nouveautés à découvrir lors de ce 3e volet ?
TEG : Plusieurs nouvelles galeries exposantes pour commencer, comme par exemple Afikaris (Paris, France), qui présentera une exposition solo de l’artiste Jean-David Knot à la foire, ou encore Eclectica Contemporary (Le Cap, Afrique du Sud) qui présentera l’artiste soudanais Hussein Salim. Une autre bonne nouvelle est la forte présence de galeries marocaines sur la foire cette année, la plus importante à 1-54 jusqu’à présent, avec 6 galeries marocaines : galerie 127 et VOICE Gallery de Marrakech ; Loft Art Gallery, L’Atelier 21, GVCC et So Art Gallery de Casablanca. Cet ancrage local compte beaucoup pour nous, et nous sommes fiers que les galeries marocaines nous fassent confiance. Une autre très belle nouvelle est le 1-54 Public Programme que nous avons coordonné : partout dans la ville, pendant la foire, pourront être récupérés des petits livrets 1-54 qui listent toutes les expositions d’art contemporain se déroulant en ville pendant la foire. Ce programme est aussi disponible sur notre site Internet ainsi que sur la toute nouvelle App 1-54, en téléchargement gratuit pour les téléphones Apple et Android, qui sera lancée le 15 février. Le fait de centraliser cette information rend la découverte de la ville et de sa scène artistique plus facile, et nous sommes heureux de pouvoir mettre en place un tel programme en parallèle de la foire à La Mamounia.
TDM : Quelles sont vos ambitions et souhaits en ce qui concerne les futures éditions ?
TEG : De continuer à faire ce que nous faisons, tout en accueillant des publics toujours plus divers et nombreux à la foire, et en contribuant à consolider le marché international de l’art contemporain africain !
