Touria Binebine consacre sa vie aux autres, en particulier aux petites filles de la campagne qui, grâce à elle, ne sont plus cantonnées aux travaux des champs.
Ainée d’une famille de sept enfants, Touria va à l’école à la Mission française de Marrakech et, son bac en poche, s’envole vers la France où elle passe à la Sorbonne un doctorat en langue, littérature et civilisation anglaise. De retour au Maroc, une rencontre va l’orienter vers une mission humanitaire à laquelle elle se consacre depuis plus de vingt ans : Zohr Sebti, la pionnière à s’occuper de la condition des jeunes filles marocaines. « Zohr a vraiment changé les mentalités et fait évoluer les choses au Maroc, explique Touria. C’est elle qui, la première, a créé Dar Lemaalma, sorte de maison de l’apprentissage, puis a fondé l’association Tahar Sebti à Casa et enfin Riad Zitoun à Marrakech, pour que les jeunes filles puissent apprendre un métier et devenir indépendantes. » Touria travaille avec elle pendant deux ans. « C’est avec elle que j’ai compris qu’on pouvait faire le bien de façon institutionnalisée, à plus grande échelle. » Touria entend alors parler de « Soroptimist » –du latin Sorores ad optimum, Sœurs pour le meilleur- une association internationale créée par une riche Américaine dans les années 20. C’est une jeune paysanne croisée par hasard sur un chemin qui va la décider à fonder Soroptimist à Marrakech. « Elle est venue vers moi, se souvient Touria, et elle m’a demandé si j’étais prof. Puis elle m’a dit : ‘Tu ne veux pas nous construire une école ? Parce que nous sommes plusieurs filles du douar à avoir réussi notre entrée en 6e, mais nous n’avons aucun collège ou lycée à proximité, et nous on a envie d’apprendre’. » Touria réalise à cet instant qu’elle tient son projet : construire un internat pour que les jeunes filles de la campagne douées sur le plan scolaire –une moyenne de 14 sur 20 est exigée- puissent continuer leurs études. Elle parcourt alors le pays et le monde à la recherche de « parrains et marraines », rencontre des chefs d’entreprise, des ministres, des princes. Son ami le peintre Mohammed Melihi lui fait rencontrer le premier bienfaiteur, le prince Bandar d’Arabie Saoudite qui offrira 400 000 dollars. La première pierre de l’internat est posée en 2003. Les premières filles y entreront en 2005. « C’était un conte de fée qui se réalisait, poursuit Touria. Nous sommes allées avec ma sœur Leïla dans une école primaire de Tamazozt, nous avons rencontré les parents de treize filles, et nous les avons convaincus de nous les confier. L’aventure démarrait… » Aujourd’hui, il y a 190 filles, mais pas assez de parrains… Alors Touria continue à battre campagnes et villes, frappe aux portes, sollicite famille et amis, imagine des événements comme des après-midis dansants, des opérations « un jour, un dirham », des soirées de gala… Son dernier projet, c’est de construire autour de l’internat des petites boutiques qu’elle va mettre en location, histoire de récolter suffisamment de fonds pour le faire vivre en autonomie. « C’est dans les sourires de toutes ces gamines que je puise mon énergie, conclut-elle. Parce que je sais que demain, elles aussi auront la mission de transmettre ce qu’elles apprennent aujourd’hui à l’école. »
06 65 18 12 17