MAHIB BINEBINE et la 6e édition de la Marrakech Biennale Par Anastasia Chelini

Mahi Binebine : le talent qui flambe au creux des toiles et des sculptures souffrantes ; la grâce d’une bonhomie perpétuelle et dansante ; l’éclat de rire permanent d’un homme solaire qui pourtant au fond de lui, abrite un questionnement déchirant sur l’humain. Mahi Binebine, tout cela à la fois. Rencontre avec un artiste pluridisciplinaire au sommet, qui s’inscrit au cœur de la Marrakech Biennale 6, d’un musée à l’autre, toujours dans un but : l’art.

 

TDM : Mahi, vous êtes au centre de l’actualité culturelle marrakchie. Parlez-nous du nouveau Musée d’Art et de Culture de Marrakech (MACMA).

Mahi Binebine : Le MACMA est sublime ! Justement, on manquait d’un musée sérieux à Marrakech ; du coup, quand le directeur Nabil El Mallouki, qui est aussi galeriste et fondateur de la Matisse Art Gallery, m’a parlé de son projet de musée, j’étais enthousiaste. Et quand il m’a proposé de participer à l’exposition inaugurale, je l’étais plus encore ! Il voulait lancer la première exposition autour d’artistes marrakchis ; il a donc choisi Najia Mehadji et moi-même. En découvrant le lieu, j’ai dit oui immédiatement.

 

TDM : Présentez-nous l’exposition inaugurale.

M.B : Pour cette exposition, le commissaire Pascal Amel a fait un montage très intéressant, basé sur de nouvelles œuvres, autour du sujet “Face à l’Histoire”. C’est un thème qui m’habite et dans lequel j’habite, puisque je l’ai vécu dans ma chair, à travers mon frère, qui a été détenu pendant 18 ans à Tazmamart. De fait, la notion d’enfermement est omniprésente dans mon travail ; mes personnages ligotés en témoignent… Toutefois, des années plus tard, une lueur s’annonce enfin : j’ai créé pour l’exposition une série de boîtes, avec des personnages en 3D à l’intérieur, qui commencent à s’extraire du cadre. C’est là le signe que je vieillis et que je m’assagis ; ma révolte se fait plus douce. Sans doute ces personnages qui se libèrent sont-ils aussi symptomatiques du fait que le Maroc a changé.

Je présente également un récent ensemble de sculptures, dont la dernière, “Les Migrants”, faite de jambes et d’une valise à la place du buste, symbolise la fuite de ces malheureux. Elle met l’accent sur leur insupportable dénuement, les migrants fuyant avec une valise seulement… Mon indignation envers leurs conditions de vie, elle, ne s’est pas amoindrie !

 

TDM : Vous êtes également curateur de l’exposition “Empreintes” au Musée de la Palmeraie, qui pour l’occasion vous a donné carte blanche.

M.B : C’est la 3e exposition que j’organise dans ce musée. Le thème, “Empreintes”, est en lien direct avec celui de la Biennale, “Quoi de neuf là”. Il a pour mission d’examiner les traces du passé perdurant dans l’aujourd’hui, comme le fait la Biennale sur un sceptre plus large, qui examine l’Histoire et ses retombées dans le présent. L’empreinte, ou la trace, vient du passé, mais existe encore dans le présent. Ce terme assez vaste a le mérite de contenir à la fois la notion de passé, de présent, et celle de temporalité. Pour se pencher sur cette question, j’ai sélectionné huit artistes* dont j’aime le travail ; tous ont travaillé sur un concept de temps.

 

TDM : Vous voilà donc artiste exposé, curateur et mécène. Et l’écriture ?

M.B : Je suis en train de terminer un roman, qui sera publié aux éditions Stock. Sa sortie est prévue pour septembre.

 

TDM : Un mot sur la Marrakech Biennale ?

M.B : On a vraiment souhaité lancer l’inauguration du MACMA en même temps que la Biennale, afin de bénéficier de l’élan formidable qu’elle suscite sur le public. La Marrakech Biennale étant une initiative magnifique, nous sommes ravis d’en faire partie via les projets partenaires.

 

TDM : Vous êtes un artiste engagé. Une réflexion sur la place de l’art au Maroc ?

M.B : Hélas, le budget du ministère de la Culture est très bas… je le regrette vraiment. D’ailleurs, le MACMA est porté par une initiative privée ! De fait, j’ai moi aussi mis la main à la pâte, en ouvrant il y a deux ans un centre culturel à Sidi Momen, un bidonville de Casa. Trois autres centres similaires sont sur le point d’ouvrir à Essaouira, Ouarzazate et Fès, toujours dans des quartiers défavorisés. Ainsi, la culture sera véritablement à la portée de tous, y compris de ceux qui ne sont pas solvables. À noter, vous êtes tous invités à parrainer l’inscription d’un enfant dans l’un de ces centres : il ne vous en coûtera que 100 DH par mois pour leur offrir l’accès à une médiathèque et une bibliothèque fournies, ainsi qu’à des cours de langues, etc.

A.C.

* Les huit artistes de l’exposition sont : Yasmina Alaoui, Florence Arnold, Sibylle Baltzer, Winfred Evers, Houda Kabbaj, Mohamed Lekleti, Maria Marstrand et Saâd Tazi.

Musée MACMA
Ouvert lundi au vendredi 10h-13h et 15h-19h, samedi 09h-19h
61 rue de Yougaslavie, passage Ghandouri, Guéliz 
Tel : 05 24 44 83 26
FB : MACMArrakech 
Exposition “Face à l’Histoire” jusqu’au 8 mai 
40 DH l’entrée, gratuit pour les moins de 12 ans

Musée de la Palmeraie 
Ouvert 7/7, 9h-18h 
Dar Tounsi, route de Fès, Palmeraie
Tel : 06 61 09 53 52 
www.musee-palmeraie.com 
contact@musee-palmeraie.com 
Exposition “Empreintes” jusqu’au 8 mai
40 DH l’entrée, gratuit pour les moins de 9 ans