La PDG du palace Es Saadi est une mécène discrète qui participe depuis des décennies à la juste reconnaissance de l’art contemporain marocain sur la scène internationale
suspendu à ses lèvres, on ne s’arrêterait jamais de l’écouter. PDG du Es Saadi Marrakech Resort, l’un des plus beaux palaces de la cité oacre, est une voix qui compte. De cette ville unique où sa famille a pris ses quartiers dans les années 50 après avoir fait fortune à Paris, de cette ville où elle a grandi et construit sa vie, elle en connaît tous les attraits, toutes les splendeurs. Et c’est un pur régal que de l’entendre en parler, d’autant plus lorsqu’elle s’étend, avec enthousiasme, sur cette passion qu’elle relie systématiquement à cette terre d’adoption et l’anime dans l’ombre, depuis bien des années. Car si ses talents d’entrepreneuse ont été maintes fois loués, on connait peu d’elle ce combat qu’elle porte pour la reconnaissance de l’art contemporain marocain. Pour s’en convaincre, il suffit de grimper au 1er étage de son Palace pour tomber sous le charme d’une collection privée d’œuvres toutes plus sublimes les unes que les autres. Cette opportunité, unique dans la région, offerte au cœur d’un véritable jardin d’eden, n’est d’ailleurs pas seulement un privilège réservé aux clients : n’importe qui peut venir déambuler sous cette immense coupole et découvrir, en partage, l’histoire de l’art moderne et contemporain marocain à travers des tableaux d’Ahmed Cherkaoui, Mohamed Melehi, Farid Belkahia, Hassan Slaoui ou encore Fatiha Zemmouri. La plongée se fait en douceur, au fil d’un cheminement remontant des années 50 à nos jours. « C’est l’envie d’aider des amis qui m’a poussé au départ à acquérir leurs créations, se souvient-elle. J’ai toujours aimé la folie des artistes, leurs univers, leur liberté. Avec les années, ces amiswfait connaître d’autres générations d’artistes et progressivement, un peu par instinct je dirais, la collection s’est agrandie avec cette envie qui est celle d’aider la peinture marocaine à être reconnue dans son pays comme une richesse. Sur ce point, les choses vont plutôt dans le bon sens depuis quelques années et la crise du covid a joué. Les gens se sont intéressés à l’art et se sont mis à aller plus souvent dans les musées et les galeries. c’est ce que nous avons aussi constaté au Palace. Il y a beaucoup plus de visites qu’avant », souligne cette femme d’art et de lettres.
«Une reconnaissance de mes pairs »
Portés par le succès de Mohamed Arejdal, Hassan Bourkia, Mustapha Akrim ou encore Khadija Kayi, les artistes marocains s’exportent désormais de mieux en mieux, ce qui réjouit Elisabeth Bauchet-Boulhal au plus haut point. Dans le cœur des collectionneurs, auprès des curateurs, ils se font une place, de même que dans les grandes galeries de ce monde, de New-York à Dubaï en passant par Paris et Genève. Cette tendance, la PDG du Es Saadi l’a soutenue et continue à la soutenir, avec discrétion mais conviction. C’est d’autant plus vrai depuis cet hiver, lorsqu’elle a accepté de rejoindre le comité d’acquisition de la Tate pour la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (ndlr, zone MENA). « Je vois cela comme une reconnaissance de mes pairs, et j’en suis fière. » Et d’assurer que « ce comité peut faire beaucoup pour l’art dans notre région ».
Une passion intacte, galvanisée par
la créativité locale
des artistes
A ce jour, cette institution anglaise, connue et respectée pour son avant-gardisme et son attachement à l’art dans ce qu’il a de plus universel, a déjà acquis deux œuvres de Belkahia et une autre de Melehi. C’est encore peu mais avec la présence d’Elisabeth Bauchet-Boulhal dans ses rangs, on sent déjà un frémissement. Preuve en est, il y a quelques semaines, sur sa proposition, la Tate Modern a acheté un très beau tableau des années 60 signé Mohamed Chebâa. « C’est un bon début et je vais tout faire pour que ça continue », dit-elle en souriant. Certes, avec toutes ses responsabilités, le temps vient à lui manquer mais elle le trouve, car « l’art est son moteur », une source d’évasion et d’émotions qui l’amène encore à vivre de « belles surprises », comme récemment, lors de la foire de Dubai. « Il y a un réel plaisir à voir les œuvres des artistes marocains côtoyer celles d’artistes égyptiens, américains ou français. Le monde sait que l’on dispose d’un folklore superbe, d’artisans merveilleux, de belles montagnes et d’une cuisine formidable. Mais on a aussi de véritables artistes, d’une créativité folle, qui vont vite et méritent d’être reconnus. à l’étranger mais aussi, ici, au Maroc. » Souhaitons qu’elle puisse les défendre encore longtemps. Avec les mots, qu’elle manie si bien, et dans son Palace, décidément si différent des autres.